Tradition, consommation de loisirs et tourisme de masse
Il y a quelques semaines, je recevais une invitation à une conférence intitulée “Construire l’avenir de nos clubs” avec pour thématiques :
« Renouvellement des dirigeants,
Manque de bénévoles, d’éducateurs et d’arbitres,
Fidélisation des jeunes,
Zapping et consommation des activités…
Autant de difficultés auxquelles font face les clubs sportifs »
Si la question se pose aujourd’hui en ces termes, on ne peut que constater que les problématiques évoquées sont encore plus marquées depuis la période Covid (2020 -2021).
Je suis impliqué dans plusieurs associations à différents titres : membre du bureau, encadrant, “simple licencié”, et partout je fais le même constat :
Aujourd’hui, beaucoup de personnes s’achètent une activité comme on s’achète un carton de vêtements jetables chez Shein, et passent d’un loisir à l’autre comme on fait défiler des post sur les réseaux sociaux : d’un simple coup de pouce et surtout sans réfléchir.
Zapping et consommation des activités : les effets du désengagement des pratiquants.
J’évoquerai trois disciplines que je connais bien pour les pratiquer régulièrement (c’est à dire chaque semaine au moins) : Art martiaux, yoga et Qi Gong.J’ai volontairement employé le terme “discipline”. Quelques extraits de définitions du Larousse pour comprendre les implications :
- Branche de la connaissance pouvant donner matière à un enseignement
- Aptitude de quelqu'un à obéir à ces règles
- Obéissance, soumission aux règles que s'est données le groupe auquel on appartient
- Règle de conduite que l'on s'impose, maîtrise de soi, sens du devoir
Ces trois “activités”, Art martiaux, yoga et Qi Gong, sont historiquement des disciplines, et ce qui est transmis aujourd’hui est l’héritage d’une tradition : culturelle, spirituelle autant que physique et technique. Leur apprentissage demande un engagement et de la constance (consistance ?) : On s’impose cette discipline dans la durée.
Il n’y a pas de secret : qui pourrait prétendre apprendre à jouer du piano en y consacrant une heure quand on a le temps, une ou deux fois par mois ? La pratique de la musique est un art complet et est en cela une discipline.
Toute la difficulté vient de cette tendance à tout transformer en “loisir”. Définitions :
- Temps libre dont on dispose en dehors des occupations imposées, obligatoires, et qu'on peut utiliser à son gré.
- Distractions, amusements auxquels on se livre pendant ses moments de liberté.
Décryptage sémantique :nous avons peu à peu glissé d’une discipline (volontaire, personne n’est obligé !) dans laquelle l'investissement consistait à accepter les règles et les contraintes liées, pour basculer vers un désinvestissement où la distraction et le non engagement font loi.
Chaque année voit arriver son lot de pratiquants “à fond”, qui en septembre jurent avoir trouvé un sens à leur vie et qui dès octobre sont incapables de lutter contre l’arrivée du froid et des jours plus courts : “Ah oui, mais c’est dur de ressortir quand on est au chaud dans son canapé”. Pour les “touristes associatifs” qui ont survécu au premier écueil de la Toussaint, il reste l’Himalaya de la reprise en janvier (encore 30% de victimes) et pire encore, l’arrivée du printemps (“Ah oui mais là il fait beau je vais pas m’enfermer”). RIP touriste disparu, condoléances à la famille.
Quelles conséquences sur l’activité ?
Le “tourisme associatif” a les mêmes conséquences que le tourisme de masse : à force de confondre Dojo (“lieu où on étudie la Voie”) et salle de sport, on transforme un patrimoine parfois séculaire en une sorte de pratique insipide de plus en plus déconnectée de ses fondements. Façon Mac Do au pays du guide Michelin.
Le niveau baisse, l’exigence avec. Le manque d’assiduité de certains pratiquants nuisant à la progression pédagogique du groupe. Les moins réguliers faisant perdre du temps aux plus impliqués, ce qui ne fait que contribuer à une démotivation des plus fragiles.
Quelles conséquences pour l’enseignant ?
Dans un monde où on croit pouvoir apprendre le Yoga ou la méditation en installant une appli sur son smartphone,ou encore les arts martiaux en en s’abonnant à un compte Tik Tok, le “touriste sportif” impose cette nouvelle loi à l’enseignant :
Quelle que soit la qualité (et au passage le travail et l'investissement personnel ) de l’enseignant, le “touriste associatif” désinstalle l’enseignant de son planning comme il désinstalle une application “Petit Bambou” de son smartphone. D'un simple coup de pouce, sans réfléchir.Je ne connais pas un seul enseignant qui vive bien ce manque de considération (... et de respect soit dit en passant).
Car enseigner une discipline, un art, c’est avant tout mettre son cœur et son âme au service de la transmission d’une passion.
Les plus modérés laisseront échapper au détour d’une conversation une petite expression empreinte de dépit, comme “Parfois on a des élèves motivés, puis du jour au lendemain ils disparaissent, on ne sait pas pourquoi, c’est comme ça”. Mais même bien dissimulée sous des airs de sagesse, on ressent la peine que ça fait, “en vrai” !
Ma compagne, professeure de Yoga, le vit très mal : “je dois être nulle, mes cours sont nuls”. Elle a beau savoir que non, entendre des témoignages qui disent l’inverse, être “ghostée” comme disent les plus jeunes, “zappée”, ça vous prend aux tripes.
Parenthèse : J'en profite pour glisser ça à l'attention des élèves de ma compagne : ça devient fatiguant de lui expliquer à chaque fois qu'elle revient d'un cours où elle n'a vu que 30% des inscrits que c'est de VOTRE FAUTE et pas de la sienne. Votre négligence lui fait du mal. Mais non Delphine, s'il y a quelqu'un de nul, c'est plutôt celui qui est absent du cours que celle qui se donne à fond pour partager avec les élèves présents pendant les cours.
Je connais beaucoup d’enseignants qui n’en peuvent plus et qui finalement envisagent de laisser tomber les cours pour se consacrer à des stages.
Il y a aussi ceux qui soupirent discrètement pendant les cours car ils doivent expliquer pour la 12e fois un basique à un consommateur de passage une fois tous les deux mois qui bien évidemment est là “pour se faire plaisir”. Après tout, il a bien le droit, il a payé sa licence.
Expliquer ? Certains comprennent. D’autres s’en fichent.
Faire la morale ? A quoi bon dans un monde où l’éducation nationale comme les cellules familiales y ont largement renoncé. Laissons donc les moulins faire du vent, ça ne conduit qu’à l’aigreur et à la frustration.
Baisser le niveau d’exigence et par là même le niveau de pratique ? C’est la marche du monde depuis 40 ans. On accepte, ou pas.
J’ai pour ma part fait le choix d’une autre solution :
“On ne peut pas changer le monde autour de soi, mais on peut changer le monde autour de soi ! “
Quand j’ai repris l’école où j'enseigne (bénévolement) il y a 4 ans dans des conditions un peu compliquées, j’ai immédiatement été confronté à de sombres imbéciles qui (sur des réseaux sociaux ou encore en chuchotant dans mon dos) m’ont reproché de “filtrer les pratiquants”.
Les plus modérés laisseront échapper au détour d’une conversation une petite expression empreinte de dépit, comme “Parfois on a des élèves motivés, puis du jour au lendemain ils disparaissent, on ne sait pas pourquoi, c’est comme ça”. Mais même bien dissimulée sous des airs de sagesse, on ressent la peine que ça fait, “en vrai” !
Ma compagne, professeure de Yoga, le vit très mal : “je dois être nulle, mes cours sont nuls”. Elle a beau savoir que non, entendre des témoignages qui disent l’inverse, être “ghostée” comme disent les plus jeunes, “zappée”, ça vous prend aux tripes.
Parenthèse : J'en profite pour glisser ça à l'attention des élèves de ma compagne : ça devient fatiguant de lui expliquer à chaque fois qu'elle revient d'un cours où elle n'a vu que 30% des inscrits que c'est de VOTRE FAUTE et pas de la sienne. Votre négligence lui fait du mal. Mais non Delphine, s'il y a quelqu'un de nul, c'est plutôt celui qui est absent du cours que celle qui se donne à fond pour partager avec les élèves présents pendant les cours.
Je connais beaucoup d’enseignants qui n’en peuvent plus et qui finalement envisagent de laisser tomber les cours pour se consacrer à des stages.
Il y a aussi ceux qui soupirent discrètement pendant les cours car ils doivent expliquer pour la 12e fois un basique à un consommateur de passage une fois tous les deux mois qui bien évidemment est là “pour se faire plaisir”. Après tout, il a bien le droit, il a payé sa licence.
Alors, que faire ?
Abandonner ? Beaucoup le font. (Il restera toujours des applications smartphone pour occuper les touristes des loisirs de masse)Expliquer ? Certains comprennent. D’autres s’en fichent.
Faire la morale ? A quoi bon dans un monde où l’éducation nationale comme les cellules familiales y ont largement renoncé. Laissons donc les moulins faire du vent, ça ne conduit qu’à l’aigreur et à la frustration.
Baisser le niveau d’exigence et par là même le niveau de pratique ? C’est la marche du monde depuis 40 ans. On accepte, ou pas.
J’ai pour ma part fait le choix d’une autre solution :
“On ne peut pas changer le monde autour de soi, mais on peut changer le monde autour de soi ! “Quand j’ai repris l’école où j'enseigne (bénévolement) il y a 4 ans dans des conditions un peu compliquées, j’ai immédiatement été confronté à de sombres imbéciles qui (sur des réseaux sociaux ou encore en chuchotant dans mon dos) m’ont reproché de “filtrer les pratiquants”.
Quand j’ai lu ça, glissé entre deux tas de conneries très mal informées, j’ai pensé ceci, mot pour mot :
“Oh putain oui, que je filtre !!! MON école : MES règles. Et ceux qui me reprochent de diriger l'école de cette manière n’avait qu’à la reprendre quand on le leur a proposé. Je n'étais de loin pas le premier sur la liste”.
Donc oui je filtre et c’est assumé. J'accepte même tous les "bras cassés et les empotés de la vallée" (au moins je suis moins seul à galérer !) : vous pouvez bien avoir 4 pieds gauches, n’avoir jamais fait de sport, avoir une équilibre de merde et un proprioception inexistante ... Je m'en fous ! Vous êtes le bienvenu si vous êtes capable de vous astreindre à une discipline chaque semaine et d’avoir la politesse de prévenir et de vous excuser si vous ne pouvez pas venir en cours.
Pour ma part, c’est aussi simple que cela. Ça marche plutôt bien, nous allons même définitivement abandonner les “forums des associations” qui sont devenus des vitrines aux loisirs dans une société consumériste.
Nous ne faisons plus de “pub” mais de “l’anti-pub” en mettant en exergue toutes les bonnes raisons de ne pas venir chez nous. Personne n’est obligé de prendre une licence : surtout pas ! Mais une adhésion “oblige”, c'est pour ça que ça s'appelle "adhérer" justement.
J’ai même la conviction que ce parti pris nous a permis de rencontrer de belles personnes qui partagent avec nous ces valeurs (devenues rares, mais certainement pas obsolètes). Et faire un bout de chemin avec ces personnes, c’est la plus belle récompense à ce que chaque enseignant donne à ses élèves.

Donc oui je filtre et c’est assumé. J'accepte même tous les "bras cassés et les empotés de la vallée" (au moins je suis moins seul à galérer !) : vous pouvez bien avoir 4 pieds gauches, n’avoir jamais fait de sport, avoir une équilibre de merde et un proprioception inexistante ... Je m'en fous ! Vous êtes le bienvenu si vous êtes capable de vous astreindre à une discipline chaque semaine et d’avoir la politesse de prévenir et de vous excuser si vous ne pouvez pas venir en cours.
Pour ma part, c’est aussi simple que cela. Ça marche plutôt bien, nous allons même définitivement abandonner les “forums des associations” qui sont devenus des vitrines aux loisirs dans une société consumériste.
Nous ne faisons plus de “pub” mais de “l’anti-pub” en mettant en exergue toutes les bonnes raisons de ne pas venir chez nous. Personne n’est obligé de prendre une licence : surtout pas ! Mais une adhésion “oblige”, c'est pour ça que ça s'appelle "adhérer" justement.
J’ai même la conviction que ce parti pris nous a permis de rencontrer de belles personnes qui partagent avec nous ces valeurs (devenues rares, mais certainement pas obsolètes). Et faire un bout de chemin avec ces personnes, c’est la plus belle récompense à ce que chaque enseignant donne à ses élèves.